Presse

http://www.larchitecturedaujourdhui.fr/affinites-creatives-2-lentretien-entre-ann-guillaume-et-guillaume-aubry/

///

La REVUE TERRAIN Texte de Thomas Golsenn.

///

Suite – 02, Cnap 2018

Marie Cozette – La synaguogue de Delme / 2013
L’Objet Manifest (ement) Produit par La Synagogue de Delme et ergastul Dans le cadre de sa résidence, Ann Guillaume a catalysé les énergies de différents corps de métiers,aux compétences variées et néanmoins complémentaires, pour réaliser un étrange objet. Cet hybride fait de verre, de cuivre et de caoutchouc tressés est le résultat d’une savante combinatoire entre un geste manuel artisanal, support de savoirs millénaires, et une technologie numérique, translation mécanique dans le réel d’un dessin conçu par ordinateur… C’est bien ce floutage des temps, des techniques et des savoir-faire qu’Ann Guillaume met en scène dans cette forme mutante qui aurait traversé les âges en tous sens. Entre arts savants et traditions populaires, archaïsme et futurisme, l’objet manifeste se révèle ambigu. Il échappe à toute interprétation ferme et définitive, et se prête davantage aux spéculations les plus folles. L’ouverture d’atelier est l’occasion pour Ann Guillaume de soumettre à l’interprétation de chaque visiteur la nature de cette curiosité, qui pourrait être tout à la fois une œuvre d’art, un outil ou un élément de décor… En proposant à tous d’observer et de spéculer sur le sens d’un artefact, Ann Guillaume nous incite à mettre en mouvement notre imaginaire, manière de dire que ses objets, dans leur matérialité et leur séduction formelle, restent le vecteur d’une pensée intuitive, profondément subjective, et libre. L’objet qu’elle présente à Lindre- Basse, à la fois fossile et prospectif, préhistorique et extraterrestre, étire la perception du temps et de l’espace. Il nous permet in fine de revoir notre conception de l’Histoire, en suivant une trajectoire non linéaire, faite de fragments épars et enfouis, qu’il nous faudrait en permanence exhumer et recomposer.

Camille Azaïs (Code Magazine)
Chez Ann Guillaume, tout commence par une image : la photographie. Who Knows When tirée en grand format, représente une sorte d’introduction à son œuvre. Au milieu d’une prairie d’un vert tendre, une tache plus foncée semble n’indiquer le séjour d’un animal de grandes dimensions, voire l’atterrissage récent d’une soucoupe volante. Mais les archéologues savent bien qu’il s’agit de la trace d’une présence de vestiges dans le sous-sol. En 2009, Ann Guillaume interrompt une collaboration de plusieurs années avec sa partenaire Leylagoor et, en solo, oriente alors ses recherches vers l’univers de l’archéologie : un réservoir de mystères et de questionnements qui nourrit depuis sa pratique artistique. À elle seule, Who Knows When résume tout un pan de ses recherches, soit cet affleurement, à la surface de la réalité, d’une autre réalité, invisible, évanescente, que seuls le travail d’interprétation et le talent pédagogique des archéologues rendent accessible aux non-spécialistes. Plus que la production de nouvelles formes artistiques, ce sont les problématiques de la représentation et de l’interprétation de la réalité qui fascinent. Ann Guillaume. Un laboratoire fictif, baptisé Never Ending Object regroupe alors l’ensemble de ses recherches sur l’art et l’archéologie. RELIQUES PERSONNELLES. Pourquoi cette jeune artiste, née en 1980 à Paris, recourt-elle à l’archéologie pour aborder ces questions qui traversent largement l’histoire de la création artistique ? Ann Guillaume l’explique très simplement. Il s’agit d’un univers familier qu’elle connaît par ses parents, tous deux archéologues. Tout en restant Cette analogie va l’amener à exposer les objets et les techniques de l’archéologie qui, ainsi détournés, deviennent eux-mêmes indices, traces, reliques. Son installation Tombé de Mires est l’illustration la plus directe : il s’agit de six mires graduées, rouges et blanches, jetées au sol. En temps normal, la mire, placée à côté du vestige à photographier, est un repère qui indique son échelle. Mais, dans cette position, les mires d’Ann Guillaume sont renvoyées à leur statut d’objets, ne donnant plus la mesure de rien et ressemblant plutôt à un jeu de mikado géant. Plus qu’un simple détournement ludique, il s’agit pour l’artiste de placer au centre de son attention les artifices auxquels recourt l’archéologue, comme l’artiste, pour prouver l’existence même des objets qu’il a découverts. Très au fait de la réalité des conditions de travail de ces Professeur Tournesol et autres Indiana Jones d’aujourd’hui, elle cite volontiers les nouvelles régulations concernant l’archéologie préventive. Lorsqu’un chantier de construction est prévu, les archéologues sont sollicités pour sonder les sous-sols et en évaluer l’importance scientifique. Dans de nombreux cas, après avoir été documentés, les vestiges que les fouilles mettent à jour doivent être ré-enfouis pour laisser la place aux nouvelles constructions. Ann Guillaume s’interroge sur la fragilité de la notion de réalité qu’une telle situation implique : oubliés depuis des siècles, puis brièvement exhumés avant d’être détruits, ces vestiges n’existent plus que par la trace qu’en gardent les archéologues. SURVIVANCES En s’appuyant sur les recherches d’Aby Warburg, Ann Guillaume met en place une vision complexe de la permanence de certaines formes. Cet historien de l’art atypique, né à la fin du XIX e siècle et interné à la fin de sa vie à cause de graves crises de paranoïa, a développé le concept de « survivances », soit le fait qu’une image, à différents moments de l’histoire, parfois séparés par des siècles, revienne à la vie et reprenne sens au sein d’une autre culture. Comment une image se transmet-elle, sur vit-elle d’une époque à l’autre ? Très influencée par cette façon d’envisager l’histoire des formes artistiques, et notamment par le lien fort qu’elle instaure entre modernité et archaïsme, Ann Guillaume décide, en 2010, de partir au Nouveau Mexique sur les traces d’Aby Warburg, qui étudia une partie de sa vie les indiens Hopi. Voyage vers les Survivances est une vidéo qui envisage les différentes couches temporelles agglomérées par le site en question. En tentant de retrouver dans ce village sans âge le coin de maison en pierre au pied duquel l’historien a été photographié en 1895, Ann Guillaume convoque à la fois le temps historique de cet épisode, la période antique dont semblent être issues ces maisons, les rares habitants qui y vivent encore dans un isolement extrême, ainsi que le temps de son propre voyage, celui d’une quête personnelle, de la naissance d’une vocation. Chez Aby Warburg comme chez Ann Guillaume, les plus grandes découvertes semblent résider dans l’idée que le temps n’est pas linéaire, mais qu’il peut former des courbes qui viennent se croiser. Cette vision du temps faite de couches accumulées, Ann Guillaume la doit encore une fois à l’archéologie même : lorsque les archéologues fouillent les sols, ils connaissent les profondeurs. Ann Guillaume parle à ce propos de « temporalité verticale ». Mais c’est lorsque cette temporalité est bouleversée, au hasard des accidents géologiques, qu’elle intéresse particulièrement l’artiste, qui y voit bien plus qu’un simple casse-tête pour les scientifiques. L’idée quernles sols puissent être regardés comme des sédimentations du temps passé fonde sa vision d’une temporalité concrète, physique, incarnée dans la matière. Ann Guillaume n’invente pas de nouvelles images, elle les retrouve en creusant le passé. Sans doute, le fait que l’archéologie soit une histoire familiale n’est pas fortuit : le passé qu’elle cherche à faire remonter à la surface est également une histoire personnelle, une archéologie intime.

M. Franck / Galerie Octave Cowbel / 2013
Les pièces de l’exposition AG OB AS (Galerie Octave Cowbel, Metz, 2010) sont inspirées d’objets archéologiques concrets ainsi que de sites de chantiers de fouilles, de mythes archéologiques. Elles font partie d’un laboratoire de recherche sur l’art et l’archéologie. L’archéologue remonte l’histoire à contre-sens. Il creuse la terre pour révéler l’invisible. Plus il creuse et plus les traces de l’occupation humaine sur le terrain sont anciennes. Dans une stratigraphie verticale, plusieurs périodes peuvent être représentées. La pièce Incendie illustre ce phénomène grâce a la couleur relative aux sédiments des couches terrestres (couche d’humus, terre noire, couche de démolition, couche d’incendie, et sol géologique). On peut dire que l’archéologue s’enfonce dans le temps par la verticale. Aby Warburg proposa une autre représentation du temps. Il expérimentera l’histoire des civilisations «racontée à rebours». Cette méthode de travail lui permit de tout prendre en compte dans un même mouvement sans hiérarchiser la forme. Partant du postulat amèné par Warburg : « l’Occident ignore ce qui ne peut être mesuré», Ann Guillaume présente une série de mires graduées, Mesures. Utilisées en archéologie, les mires graduées matérialisent l’échelle de l’objet photographié ou la profondeur de la fouille. Ces règles ne donnent pas la mesure en centimètres (les mesures sont fausses) mais assurent de l’existence de l’objet exposé qu’elle accompagne. La réappropriation des techniques et des représentations archéologiques permet à Ann Guillaume, par la reconstitution, de casser la chronologie linéaire. Elle permet de faire revivre physiquement une pratique, un objet, d’invoquer un temps passé. Rails de chemin de fer en céramique est un vestige faussaire issu du chantier de fouille de Bassing en Lorraine. Ces vrais-faux créent un va et vient temporel entre un potier visionnaire du 2ème siècle et la réalité du site qui va bientôt être recouvert de rails de TGV. La vidéo AG OB AS participe de la même pratique : l’archéologie expérimentale, l’imitation ouvrant l’accés à une meilleure compréhension. Cette vidéo montre un archéologue occupé à tailler le silex, a? confectionner des outils, suivant des méthodes répertoriées par déduction et analyse. Elle met en en scène cette fois un geste fossile dont les contours sont ensevelis sous la réalité contemporaine et l’avènement de la machine. Dés l’époque de Cicéron, les collectionneurs romains, en quête de sculptures grecques, étaient victimes de faussaires. Le Moyen Age est traversé par le problème des fausses reliques; à la Renaissance Michel Ange cache ses Cupidon dans la terre pour leur donner l’air d’être de véritables marbres grécoromains. Aujourd’hui cette pratique reste courante. Elle permet aux musées d’exposer l’Histoire sans en altérer les vestiges authentiques. En exposant Fossile ? et le livre Glozel, Vallon des Morts et des Savants de Benjamin René, ouvert à la double page où le faussaire explique sa technique pour fabriquer des faux galets, Ann Guillaume rappelle que les œuvres répliques faites par les faussaires ne sont jamais dénuées d’originalité?. À travers ses «œuvres répliques» qui imitent l’archéologie, ses trouvailles, ses techniques, ses interprétations, Ann Guillaume dévoile la survivance d’une culture dans une autre et montre que «l’archaique» est synonyme de «modernité».

Odile Ouizemann /2012
Quales Lapides / Quales Structurae. Impression sur PVC 2mm, Optimark , 2 m 9 7 cm x 2 m 33 cm, 2009 Radiographie. Une pelle d’archéologue sera detécté par des archéologue dans le futur, caisson lumineux, 13 cm x 9 cm, 2010 (En collaboration avec Leylagoor, partenariat avec la société Optimark) Installation qui rend hommage à l’Amphithéâtre de Metz. Construit au I er siècle, il sera en partie démantelé au fil du temps avant de se retrouver enseveli. Il faut attendre le début du XXeme siécle pour voir s’engager une première série de fouilles archéologiques. Enfin, entre 2006 et 2008, les fouilles (menées par l’INRAP) reprennent. Elles donneront jour à une riche documentation. C’est en particulier sur l’étude de cette documentation que repose le travail d’ANN Guillaume qui s’interroge sur notre rapport à l’architecture mis en perspective avec l’activité des hommes à travers le temps. «Quales Lapides / Quales Structurae» met en scéne le déplacement d’un fragment d’architecture construite il y a 19 siècles qui se trouve être un Amphitéâtre dédié aux batailles rangées entre hommes, aux combats d’animaux, vers le coeur d’un bâtiment contemporain, celui qui abrite Les Galeries Lafayette de Metz, situé au centre-ville. «Quales Lapides / Quales Structurae» par ce jeu de contrastes, tente de faire prendre conscience à l’observateur d’appartenir à une époque, son époque, marquée entre autre par les diverses activités auxquelles se livrent les foules. Une représentation en deux dimensions d’un segment du mur de l’Amphitéâtre est disposé au sol des galeries Lafayette. Le spectateur la surplombe et peut observer le vestige comme il se présente dans son environnement réel, cette fois au grand jour et non enseveli sous ce qui est aujourd’hui le parking du Centre Georges Pompidou-Metz. Un raccourci a été crée. Le raccourci est un procédé désignant un effet visuel qui tend à exagérer la perspective par sa réduction même. Cette figuration spatiale est organisée autour d’un point de fuite unique. Questionner les règles de la représentation inventées par la science de la vision, et chercher le passage entre l’état physique de la 2 dimension et de la 3 dimension permet à Ann Guillaume de relier de manière illusionniste l’espace représenté (espace absent), l’espace réel et celui du spectateur.

Jill Gasparina / Virginie Chuimer / Alexandra Fau….