PRATIQUE NINJA

Chez l’ennemi/En changeant sans cesse d’apparence/Tel est l’art du ninja.

Au départ de la mission / Sur le chemin un Ninja / Un animal est dissimulé /Bon augure/Semer le doute et la confusion

(Bansenshükai, Fujibayashi Yasutake)

Allegorie du Caméléon : Texte qui expose les raisons et les règles de la transdisciplinartité / Le caméléon s’adapte, se déplace, se métamorphose. Ce texte se compose de nombreux personnages qui dialoguent les uns avec les autres, observent et commentent le changement de statut d’une chose, le changement d’identité d’un être…. pour exprimer la stratégie de l’artiste ninja.

Objet Manifest-ement : Ces objets intègrent différents lieux afin de prendre la couleur de là où ils sont. Il en existe un au Frac Toulouse, un au CNAM, un dans le musée d’archéologie en Ariège, un au Musée des beaux Arts de Rennes, deux chez des collectionneurs… d’autres restent à trouver leur contexte d’exposition.

Pratique Ninja :
Ce discours comporte quelques références à des royaumes combattants. On ignore
exactement qui ils sont et comment ils sont arrivés là ?
La guerre est d’une importance vitale pour l’Etat. Elle appartient au domaine de la
vie et de la mort. La conservation ou la perte de l’empire en dépendent. Ne pas faire de
sérieuses réflexions sur ce qui le concerne serait faire preuve d’une coupable indifférence.
Le ninja est connu pour ses missions d’infiltration. En mission, le ninja prépare son
itinéraire grâce à un repérage sur le terrain, il note les endroits les mieux protégés et les
mieux défendus par l’ennemi, les endroits où se cacher, les angles morts, qui lui permettront
de se dissimuler pour s’infiltrer ou, le cas échéant, pour disparaître rapidement. Celui qui
commence son apprentissage le fait par l’engagement. Dans le premier volume de La
Droiture de l’esprit, il est expliqué que ceux qui veulent apprendre à être un ninja ne doivent
pas utiliser cet art pour leur intérêt personnel, et que, si l’on possède la droiture de l’esprit, on
réussira à s’infiltrer partout.
Le ninja se fond donc dans son environnement en l’imitant parfaitement, même forme,
même couleur. Ce type de mimétisme, ce camouflage, influence même la façon qu’il a de se
mouvoir, de parler, de vivre… Mais pourquoi vouloir passer totalement inaperçu ?Armé de
patience, de savoir-faire, il passe incognito afin de développer sa principale qualité : le sens de
l’observation, en vue d’effectuer une attaque furtive ou frontale, le shinobi ou ninja se livre
donc à l’espionnage pour rassembler discrètement un maximum d’informations.
Nous parlons d’un art qui n’est pas simple à déceler, le situer n’est pas chose aisée
puisqu’il prend la forme de sa technique et inversement. Cet art se joue de l’invisibilité, il ne
se montre pas avec force et autorité, cet art assure qu’il est un épiphénomène plutôt qu’un
point de commencement dans l’Histoire, il cherche à faire naître une « anomalie
merveilleuse », qui se cache dans les plis les plus secrets du temps et des lieux. Cet art ne naît
pas du désir de maîtriser le monde mais de s’y impliquer. Imprévisible, aléatoire, il est
capable de se défiler en une seconde, il est un presque-rien, il échappe à la connaissance tout
en inventant de nouveaux savoirs. Indiscipliné, inégal, irrégulier, en mouvement, cherchant à
se faufiler là où il n’y a pas de règle, il a été vu aussi bien au détour d’un mot, d’un lieu, d’une
discipline, d’une époque que d’une ligne.
Confucius disait que « nul n’a besoin d’être reconnu, en revanche ne pas reconnaître
autrui est néfaste ». Briller ou disparaître, ou comment cet art peut agir dans l’existant, en
temps réel ? Le ninja attend le bon moment pour mettre en oeuvre son plan d’action. L’idéal
est de profiter des conditions atmosphériques favorables pour lui. Un temps pluvieux et
venteux permet d’atténuer le bruit de ses pas, couvrir les sons éventuels qu’implique son
action. L’acquisition du renseignement a toujours été un domaine crucial de la stratégie
militaire, il n’est pas possible d’acquérir ces informations préalables par une comparaison,
par une spéculation purement théorique, ou par divination. Un shinobi de haut niveau qui sait
conspirer avec talent, cacher avant toute chose sa vraie nature, est un shinobi talentueux (sa
sagesse est immense comme le ciel).
« Conscient que rien n’est immuable, qu’il n’y a ni début ni fin, tout est changement et
transformation, il s’adapte en toutes circonstances aussi naturellement qu’une bille roulant
sur un plateau. »
Posséder l’art de ranger les troupes, connaître les différents chemins, ne pas
dédaigner entrer dans un détail, et se mettre au fait de chacun d’eux, en particulier. Tout cela
ensemble forme un corps de discipline dont la connaissance pratique ne doit point échapper à
la sagacité ni aux attentions de l’art ninja.
Mais attention ! Observer et infiltrer comportent de hauts risques et nécessitent avant
tout d’avoir le coeur bien accroché, d’avoir l’esprit semblable à la lame d’un sabre, solide et
aiguisée. Il est nécessaire, à la manière du « faucon dans la forêt profonde, ou du poisson dans
les abysses », d’agir modestement et sans laisser de traces, aucunes. Pour le faire bien, il faut
laisser derrière nous, les pratiques utilitaristes, lesquelles dominent depuis trop longtemps
Vous donc que le choix du prince a placé à la tête des armées, jetez les fondements de
votre science. La victoire suivra partout vos pas : vous n’éprouverez au contraire que les plus
honteuses défaites si, par ignorance ou par présomption, vous venez à les omettre ou à les
rejeter. Parmi les princes qui gouvernent le monde, celui qui a le plus de doctrine et de vertus
donne, reçoit et rend. Un paysage voit alors le jour. Nous y détectons des expériences neuves
et partageables.
L’invisibilité est donc un moyen pour atteindre la lisière de toutes les surfaces.
Considérer l’environnement, le milieu et sa capacité ou non à accueillir quelque chose de
neuf, exercer une influence, prendre part donnent une belle occasion pour façonner le
commun. Le commun ne nous précède pas, il est plutôt le fruit d’une association prête à
former un champ d’expérience renouvelé, un lieu de pluralisation indéfini.
La méthode ninja, d’investigation, d’enquête, implique enfin une forme d’observation
participante. Et c’est bien parce qu’on « n’observe jamais ce qu’on s’attend à voir » qu’elle
est essentielle. Ne perdons pas de vue que l’espionnage, l’observation, la reconnaissance et
l’analyse tendent toujours vers l’action. Comme une sorte de laboratoire social, ayant pour
objectif d’étudier les transformations des milieux afin de dessiner de nouvelles relations entre
les choses du monde. Souvenez-vous de ce chemin esquissé il y a longtemps maintenant, qui,
décrivait un art permettant « une augmentation qualitative de la vie humaine » Qu’en est-il
aujourd’hui ? Faire de la vie quotidienne son sujet, partir de l’existant, être en communion
avec le terrain, en immersion totale permet dans le meilleur des cas de donner aux choses la
possibilité de se transformer, de provoquer l’ordre établi de la société.
L’esprit du don se met alors en place, une société s’invente. Cette pratique n’aurait-elle
pas comme projet de reconnaître, de donner de l’attention tout simplement. La reconnaissance
commence toujours par un geste qui consiste à avancer vers l’autre quelque chose, soi-même
dans notre cas. L’initiative du don est une revendication d’autonomie et de liberté favorisant
la circulation de l’imaginaire. Le don constitue une forme concrète, permettant d’alimenter
une forme de solidarité et de responsabilité pour la justice et le bien commun. Et si la pratique
ninja inventait réellement l’instauration de nouveaux rapports sociaux ?
Toutes ces différentes mises en situation font émerger des récits, des représentations.
Heuristiques, ces forces tectoniques en action permettent alors de faire de nouvelles
découvertes dans différents champs. Tout peut enfin désormais s’envisager. Parce que le ninja
a tiré ses ficelles de l’ombre, qu’il n’a pas laissé de noms, qu’il a effacé les preuves de son
existence, on est en droit d’affirmer la force suprême de son art, donc de son existence. Cette
pratique ninja donne lieu alors à un art qui, parce qu’il n’a pas d’existence entendue ou
spécifique, est paradoxalement ce qui permet d’obtenir des effets dans le réel. La stratégie
ninja lui confère un rôle d’éclaireur, tel est donc le privilège du ninja. Qui n’aimerait pas
maîtriser tous ces paramètres afin, comme le ninja, de servir de guide aux troupes régulières ?
Italique : citation de l’art de la guerre de Sun Tzu
Ann Guillaume, 2018

 

 

Enregistrer